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La chasse-galerie

Avez-vous déjà entendu parler de la chasse-galerie? Ce sont des canots qui volaient dans les airs, poussés par le diable, il y a de ça ben longtemps. Ils transportaient des possédés du démon, surtout des gars de chantier. Peut-être ben qu'un jour les humains voyageront dans les airs comme on fait aujourd'hui en buggy ou en traîneau sur le chemin du roi. Mais il y a 50, 100 ans et même dans les anciens temps, on pouvait voyager dans les airs sur des tapis magiques, à califourchon sur des balais de sorcières ou en canot par la chasse-galerie : tous des moyens du diable ...

J'avais tout juste 19 ans. C'était mon quatrième hiver dans un chantier. J'étais pas sacreur, mais ben macreau : ce qui a ben failli me perdre. On était à la veille du jour de l'An, et c'était pas au p'tit gobelet qu'on s'passait le rhum comme à soir, mais à pleins barriquets. Rond comme un oeuf, je m'étais étendu sur mon lit tout habillé. Tout d'un coup, je m'réveille-ti pas en sursaut. Qui est-ce qui se penche au-dessus de moi? La grande face à Jack Boyd, le « foreman »... Il était nouveau au chantier ce foreman-là. On l'avait jamais vu avant c't'année. Il nous avait acheté du rhum en masse pour le jour de l'An. Il avait l'air d'un gars qui avait de l'argent.

« Aimerais-tu ça voir ta blonde? » qu'il me dit. Je le regardais d'un air hébété. « Réveille-toi donc! » qu'il me dit en me secouant de toutes ses forces et il était fort comme deux chevaux. « Veux-tu la voir à soir, ta Lise? »

Voir ma Lise, c'était pas possible! Elle habitait à Lavaltrie, à plus de cent lieues et je m'en ennuyais à mourir. J'aurais fait le trajet à pied et en plein hiver pour la voir, si j'avais pu laisser le chantier. Pis, j'aurais vendu mon âme au diable pour passer une nuit avec elle. Même que ça failli arriver, ce soir-là.

J'ai eu comme fret dans le dos :

Pis, comme s'il avait été sûr d'avance que je dirais oui, il ajouta :

J'étais trop étourdi par le rhum ... Eh ben oui, j'pouvais pas sauter le baril, comme je l'avais fait les années précédentes. Les gars finirent par accepter mes excuses. Jack Boyd, moi et deux autres, on sortit. Le ciel était clair et les étoiles brillaient à nous vriller l'âme. Mais il faisait un fret à faire gémir les arbres. Un grand canot sombre reposait sur la neige, près d'une cordée de bois. Quatre hommes du camp voisin nous attendaient, l'aviron à la main.

Baptiste s'installa à l'arrière du canot. Et avant d'avoir eu l'éclair d'une pensée, j'étais déjà assis dans l'embarcation, avec les autres, tenant mon aviron ben serré. Baptiste nous lança d'une voix forte :

À peine avions-nous répété ces paroles avec Baptiste que déjà nous sentions le canot s'élever dans les airs, par-dessus les camps, les arbres et, bientôt, les montagnes. Chaque coup d'aviron faisait filer notre canot comme flèche dans le vent.

Le fret nous durcissait la face, engivrait les moustaches et les capots de chat sauvage et nous colorait le nez comme du boudin mal cuit. Les forêts nous apparaissaient comme des immenses taches d'ombre épeurantes sur une neige aveuglante de blancheur. Pas longtemps après, on vit un serpent géant et luisant comme un miroir qui relançait vers nous les reflets de la lune; c'était la Gatineau.

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Puis, des maisons d'habitants nous apparurent, toutes petites d'où nous étions, faisant si ben partie de la neige tout autour qu'on pouvait les distinguer seulement aux lumières faibles qui perçaient de leurs fenêtres. On commença aussi à voir des villages, des clochers d'église qui brillaient tout dret dans le ciel comme des lances. Longtemps on fila par-dessus les forêts, les villages, les rivières et les lacs, si vite qu'on laissait derrière nous autres comme une traînée de feu. Puis on vit des milliers de petites lumières tout près les unes des autres, comme si elles voulaient se réchauffer : c'était Montréal. Tout ça nous faisait une ben drôle d'impression.

Baptiste connaissait ben son chemin : il nous menait tout dret sur Lavaltrie. Tout d'un coup il nous cria :

Tout de suite après ces mots magiques, le canot plongea vers le sol et atterrit brusquement dans un banc de neige, près du bois de Jean-Jean Gabriel. On partit en file indienne vers le village. Il fallait qu'on s'ouvre un chemin dans une neige épaisse. On frappa à la porte du parrain de Baptiste. Toute la famille était partie fêter. La fille engagée qui répondit à la porte nous dit que les vieux étaient à un snaque chez le père Robillard et que les jeunes fêtaient chez Batissette Augé, à la Petite-Misère, en bas de Contrecoeur, de l'autre côté du fleuve, où il y avait un rigodon du jour de l'An.

On revint au canot.

Et nous voilà repartis pour la Petite-Misère, en navigant dans les airs comme des renégats que nous étions. Deux coups d'aviron et hop! On est déjà de l'autre côté du fleuve, au-dessus de la maison tout illuminée de Batissette Augé. Les sons ouatés du violon et des éclats de rire parvenaient jusqu'à nous et on voyait des ombres se trémousser à travers les vitres couvertes de givre : Ça nous faisait frétiller d'avance.

On cacha le canot pas loin de la maison et on courut vers la chaleur, la danse, les chansons, les rires, les femmes, et la boustifaille. Baptiste nous conjura de ne pas boire et de ben surveiller nos paroles :

Ce fut le père Batissette lui-même qui vint ouvrir. On nous reçut à bras ouverts. On connaissait presque toute le monde qui se trouvait là. On nous assomma de questions, tant les gens du village étaient surpris de nous voir là quand on aurait dû être à plus de cent lieux.

Baptiste se chargea de répondre comme il pouvait aux questions... Pendant le premier quart d'heure, parce qu'après ça, il était déjà pas mal pompette et s'en fichait comme dans l'an quarante. Quant à moi, j'avais déjà reluqué ma Lise qui dansait avec un jeune faraud de Lanoraie, un dénommé Boisjoli. Je m'approchai d'elle et lui demandai si elle m'accorderait la prochaine. J'étais devenu comme timide avec elle, tellement que j'en avais l'air gauche à en sacrer. Mais, je vous l'ai dit au début, je ne sacrais pas. Je me contentai de rougir jusqu'aux oreilles. Feignant de ne pas s'en apercevoir (la bougraisse, elle était déjà plus délurée que moi!), elle accepta avec un sourire qui me fit oublier que j'avais risqué le salut de mon âme pour avoir le plaisir de me trémousser pendant quelques courtes heures avec elle.

Pendant deux bonnes heures d'affilée, une danse n'attendait pas l'autre. J'étais infatigable. Elle aussi. Jack Boyd m'offrit un verre de whisky blanc. Je refusai net. Comment pouvait-il nous offrir de la boisson quand il savait que ça nous était défendu d'en prendre? J'comprenais plus rien à ça, d'autant plus que je le voyais passer de l'un à l'autre, avec sa bouteille, offrant un verre par ci par là. Il allait même jusqu'à en offrir à Baptiste qui était depuis belle lurette rond comme un oeuf.

Un moment donné, Boyd vint m'avertir qu'il fallait partir tout de suite et sans dire bonsoir à la compagnie pour pas éveiller l'attention. Je voulais plus partir. Je voulais rester avec ma Lise.

On partit comme des sauvages, les uns après les autres pour pas éveiller l'attention.

Notre canot s'éleva dans les airs sans difficulté. On refit le même chemin pour revenir au chantier de la Gatineau, mais avec bien des zigzags et des singeries, parce que notre Baptiste, il n'en menait pas large. Il était saoul comme un cochon et il fallait qu'on l'réveille à tout bout de champ, et quand on l'réveillait (il fallait ben : c'était le seul qui connaissait le chemin par coeur), il sacrait comme un damné, mais, heureusement pour nous, sans jamais prononcer le nom de Dieu. Autrement, on aurait pris une jolie plonge... probablement jusqu'en enfer : J'en tremble encore rien que d'y penser. On frôla des églises, des clochers, des croix, même une croix de tempérance qu'un évêque avait fait planter, mais sans jamais rien toucher. Y a pas à dire, on devait avoir un bon ange avec nous autres.

On finit par apercevoir le long serpent blanc de la Gatineau, mais il ne reluisait plus comme à l'aller, parce que la lune avait disparu derrière de gros nuages sombres. On distinguait surtout la rivière par les rangées de pins noirs en bordure des deux rives.

Comme j'avais hâte d'arriver! J'avais une peur noire et l'esprit retourné comme un cornichon dans le vinaigre. Qu'est-ce qui m'avait pris de risquer mon âme pour sauter quelques heures avec ma Lise? Surtout qu'elle devait se marier l'année suivante avec le p'tit Boisjoli de Lanoraie, le faraud qui l'accompagnait quand je l'ai demandée à danser. Probablement qu'elle m'en a voulu d'être parti comme un sauvage, sans lui faire mes adieux d'une façon convenable. Ce qui m'chicotte encore, c'est que je l'saurai jamais. J'en voulais à Jack Boyd, à Baptiste et surtout à moi, la sacrée cruche.

Comme on approchait du chantier, Baptiste fit une mauvaise manoeuvre : le canot prit une plonge et s'accrocha à un gros sapin. Nous voilà tous à dégringoler de branche en branche et on s'est ramassé tête première dans les bancs de neige. Mon Baptiste sacrait comme un démon. Qu'importe : on était sauf. Ma première pensée a été de remercier le ciel, mais je me suis toujours demandé si c'était le bon Dieu qui nous avait protégés ou ben le diable qui ne voulait pas encore de nous autres.

Le plus curieux de l'histoire, c'est que le lendemain matin, plus de Jack Boyd. Il avait disparu. On ne devait plus jamais le revoir. Quand, ce matin-là, j'ai rappelé notre aventure à Baptiste et à mes compagnons de voyage, personne ne s'en souvenait : Les sacripants, ils avaient trop bu!

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Mis à jour / révisé le 21-11-2008
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