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Contes & légendes 

Le fantôme de l'avare

(Adapté d'un conte populaire)

On était le 31 décembre. Sur l'ordre de mon père, j'étais parti de grand matin pour Montréal afin d'aller y acheter divers objets pour la famille. Et surtout une magnifique dame-jeanne de rhum de la Jamaïque qui nous était absolument nécessaire pour traiter dignement les amis à l'après-midi. J'avais fini mes achats et je me préparais à prendre la route de Lanoraie. Mon berlot était assez bien rempli et, comme je voulais être rentré avant neuf heures, je fouettais vivement mon cheval qui partit au grand trot. À cinq heures et demie, j'étais déjà au bout de l'île, mais le ciel s'était couvert peu à peu et laissait présager une fort bordée de neige.

Je m'engageai sur la route tracée sur le fleuve gelé, et avant d'avoir atteint Repentigny, il neigeait à plein ciel. Je ne voyais ni ciel ni terre, à peine pouvais-je suivre le chemin du roi devant moi; les balises n'étaient pas encore posées, car l'hiver venait de commencer. Une poudrerie se mit à me fouetter la figure et m'empêchait d'avancer. Je n'étais pas bien certain de la localité où je me trouvais, mais je croyais être aux environs de la ferme du père Robillard. Je ne crus pouvoir faire mieux que d'attacher mon cheval à un pieu de la clôture et me diriger à l'aventure à la recherche d'une maison.

J'errai pendant quelques minutes et je désespérais de réussir quand j'aperçus, sur la gauche de la route, une masure à demi ensevelie sous la neige et que je ne me rappelais pas avoir encore vue.


Je me dirigeai, en me frayant avec peine un passage dans les bancs de neige, vers la cabane, que je crus tout d'abord abandonnée. Je me trompais cependant : la porte était fermée, mais je crus apercevoir par la fenêtre la lueur rougeâtre d'un bon feu de bois qui brûlait dans l'âtre.

Je frappai et j'entendis aussitôt les pas d'une personne qui s'avançait pour m'ouvrir.

J'entendis aussitôt le loquet se lever. On ouvrit la porte à moitié pour empêcher autant que possible le froid de pénétrer, et j'entrai en secouant mes vêtements, qui étaient couverts d'une épaisse couche de neige.

Je lui expliquai en peu de mots la cause de ma visite et après avoir accepté un verre d'eau-de-vie qui me réconforta, je pris place sur une chaise boiteuse qu'il m'indiqua de la main au coin du foyer. Il sortit, me disant qu'il allait sur la route quérir mon cheval et ma voiture pour les mettre dans une remise, à l'abri de la tempête.

Je ne pus m'empêcher de jeter un regard curieux sur l'ameublement de la pièce où je me trouvais. Dans un coin, un misérable banc-lit, sur lequel était étendue une peau de bison, devait servir de couche au vieillard voûté qui m'avait accueilli.

Un ancien fusil, datant de l'époque des Français, était accroché aux soliveaux de bois brut qui soutenaient le toit de chaume. Plusieurs têtes de cerfs, d'ours et d'orignaux étaient suspendues comme trophées de chasse aux murs blanchis à la chaux. Près de l'âtre, une bûche de chêne solitaire semblait être le seul siège vacant que le maître de céans eût à offrir au voyageur qui frappait à sa porte pour lui demander l'hospitalité.

Je me demandai quel pouvait être l'individu qui vivait ainsi en sauvage sans que je n'en aie jamais entendu parler? Je me torturai en vain la tête, moi qui connaissais tout le monde, depuis Lanoraie jusqu'à Montréal, mais je ne trouvais pas. Sur ces entrefaites, mon hôte rentra et vint, sans dire un mot, prendre place en face de moi, à l'autre coin de l'âtre.

En disant ces mots, je le regardai en face et j'observai pour la première fois les rayons étranges que produisaient les yeux de mon hôte. On aurait dit les yeux d'un chat sauvage. Je reculai instinctivement mon siège sous le regard pénétrant du vieillard qui me regardait en face mais qui ne me répondait pas.

Le silence devenait fatigant et mon hôte me fixait toujours de ses yeux brillants comme les tisons du foyer. Je commençais à avoir peur. Rassemblant tout mon courage, je lui demandai de nouveau son nom. Cette fois, ma question eut pour effet de lui faire quitter son siège. Il s'approcha de moi à pas lents et posant sa main osseuse sur mon épaule tremblante, il me dit, d'une voix triste comme le vent qui gémissait dans la cheminée :

Mes cheveux se hérissaient, mes genoux s'entrechoquaient et je tremblais comme la feuille du peuplier pendant les fortes brises du nord. Mais le vieillard, sans faire attention à ma frayeur, continuait toujours d'une voix lente :

Le revenant - car c'en était un - parlait encore quand, succombant aux émotions terribles de frayeur et d'étonnement qui m'agitaient, je perdis connaissance.

Je me réveillai dans mon berlot, sur le chemin du roi, vis-à-vis de l'église de Lavaltrie. La tempête s'était apaisée et j'avais sans doute, sous la direction de mon hôte de l'autre monde, repris la route de Lanoraie.

Je tremblais encore de frayeur quand j'arrivai ici à une heure du matin et je racontai aux convives assemblés ma terrible aventure. Quelques jours plus tard, j'eus l'occasion de raconter mon histoire au curé de la paroisse. J'appris que les registres de son église faisaient en effet mention de la mort tragique d'un nommé Jean-Pierre Beaudry, dans sa maison incendiée, survenue il y a cinquante ans.

En parcourant, en hiver, la grande route qui longe la rive du fleuve, je frissonne encore à la pensée de ce voyage que je fis la veille du nouvel an, même si certains de mes amis prétendent que j'avais rêvé en chemin. Jamais je n'oublierai le regard de feu du fantôme de l'avare.

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Mis à jour / révisé le 21-11-2008
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